Sortir de l'impasse !
L’Allemagne est à la croisée des chemins et l’Europe est au bord du gouffre. Pour la première fois depuis le début de la crise l’Allemagne est dans la tourmente. Elle a raté une émission d’obligations d’Etat d’un montant de 6 milliards d’euros sur une souche obligataire à 10 ans car seulement 3,64 milliards d’euros, soit 60% du montant total, a été souscrit. En termes moins techniques cela signifie que pour la première fois les marchés financiers n’ont pas souscrit la totalité d’une émission de titres de la dette publique allemande. A son tour l’Allemagne entre progressivement dans l’œil du cyclone. A son tour elle voit ses taux augmenter. A son tour elle est interpellée par les marchés financiers sur l’analyse qu’ils font, de leur point de vue, de ses fondamentaux. Le plus fort de la crise est donc devant nous si rien ne change. Or, l’Allemagne est en train de commettre une erreur fondamentale, la même que celle commise par l’administration républicaine américaine après la crise de 1929 et avant la victoire de Roosevelt. Cette erreur consiste à mener une politique qui va amplifier les tendances sécessionnistes déjà à l’œuvre dans le déroulement actuel de la crise. Quel est le point majeur de désaccord avec l’Allemagne ? Il consiste tout simplement dans la volonté de monétiser à l’échelle de l’Europe l’ensemble des dettes publiques en permettant à la BCE d’acheter directement des titres de dettes des Etats membres de la zone euro en émettant au besoin des obligations qualifiées d’euros bonds. L’Allemagne le refuse. Tout d’abord notons au passage que l’Allemagne est elle aussi un adepte du « faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais » puisque la Banque Centrale Allemande, la Bundesbank, est intervenue pour acheter le solde de l’émission de l’obligation d’Etat allemande qui n’avait pas trouvé preneur sur le marché. Pourquoi l’Allemagne s’y refuse-t-elle ? Elle s’y refuse principalement parce qu’elle n’y trouve pas son intérêt, parce qu’elle refuse d’avoir à cotiser pour les autres pays. On peut l’entendre, c’est toujours une manière d’entrer dans une discussion qui est aussi une négociation. Par contre on ne peut pas l’entendre quand cette position risque d’entraîner l’Europe dans la récession. D’autant plus que l’argument principal avancé par les dirigeants allemands ne tient pas. Qu’est-ce que nous disent les allemands ? Ils nous disent qu’ils ne veulent pas voir revenir le spectre des années 20 de l’inflation qui aurait accru la crise et conduit selon eux conduit à terme à la prise du pouvoir par les nazis. Je n’entends pas ici critiquer le caractère historiquement spécieux de cet argument au risque sinon de devoir entrer dans de trop amples développements. En revanche, il est contestable d’affirmer comme le font les allemands que la monétisation des dettes publiques serait inflationniste. La comparaison des courbes d’inflation dans les principaux pays qui y ont recours le démontre. Et, surtout, cet argument ne résiste pas à un examen sérieux. Monétiser une dette revient en définitive à injecter de la monnaie. Or, c’est ce que font aujourd’hui quotidiennement les banques quand elles créent de la monnaie qui est injectée dans les circuits économiques et qui y circule. Or, en quoi la monnaie publique qui serait crée par la monétisation des titres de dettes publiques serait-elle plus inflationniste par nature que celle actuellement crée par cette monnaie des banques privées ? Et si on veut pousser le raisonnement jusqu’au bout, il faut répondre alors à la question suivante : qu’adviendrait-il si il n’y avait plus d’émission nette d’obligation nouvelle par les Etats ? Les banques seraient alors contraintes de se recentrer progressivement vers leurs fonctions de base, celle du financement de l’économie réelle, de l’économie productive et donc de se poser la question de l’accroissement nécessaire du stock de capital productif et du volume de l’emploi (je vous invite à lire les Echos des vendredi 25 et 26 novembre qui l’explique très bien). C’est pourquoi il y a un lien vertueux entre monétisation des dettes publiques par intervention de la BCE, recentrage des activités bancaires sur le financement de l’économie productive, croissance économique et lutte contre le chômage. Voici la manière dont la France aurait du poser le débat publiquement avec l’Allemagne et engager au besoin un bras de fer avec celle-ci devant l’ensemble des peuples européens. La France ne le fait pas et une fois encore Nicolas Sarkozy a capitulé en rase campagne en cédant aux désidératas d’Angela Merkel. Pourquoi ? Tout simplement parce que Nicolas Sarkozy est tétanisé à l’idée que la France pourrait perdre éventuellement sa note AAA. En conséquence il se met, une fois encore, à la remorque des allemands en jouant, une fois encore, le rôle de l’idiot utile. Entendons-nous bien, il n’y a dans l’absolu aucune honte à être à la remorque des allemands. L’Allemagne est la première économie de la zone euro, c’est un pays ami de la France avec lequel nous avons œuvré ensemble depuis des décennies à une solidarité utile à la construction européenne. Le problème vient de ce que, actuellement, la droite allemande propose un chemin calamiteux qui conduit tout droit l’Europe vers la récession. J’en termine donc par l’ultime question celle de la convergence. L’Allemagne dit qu’elle conditionne son éventuel accord à une mutualisation des dettes à partir du moment où la convergence budgétaire au sein de l’Union Européenne serait accrue et garantit par une modification des traités. Dans l’absolu l’Allemagne n’a pas tort. En effet, la zone euro est devenue une zone monétaire où les économies divergent substantiellement. Cette zone monétaire produit donc de manière continue des chocs asymétriques qui peuvent finir par conduire purement et simplement à l’éclatement de celle-ci. Il faut donc faire à nouveau converger les économies entre elles et pour cela passer à une étape nouvelle de l’intégration fédérale. Cependant la question n’est pas la convergence en soi mais les objectifs de cette convergence. Des objectifs économiques et sociaux qui sont intimement liés. Or, que propose l’Allemagne ? Tout simplement de faire converger la zone euro sur des bases d’austérité qui conduiront inévitablement à plonger l’Europe dans une récession sans précédant et donc par voie de conséquence, à détacher les peuples de l’Europe et à ouvrir un espace béant pour le repli national et le nationalisme qui a fait tant de ravages meurtriers ans au siècle dernier. La seule convergence qui soit possible est celle de la croissance économique, de la lutte contre le chômage, de la défense des modèles sociaux et de la réduction des inégalités. Cela passe par une pression fiscale assumée et substantielle sur le capital et les plus fortunés. Cela passe par le drainage de l’épargne vers la sphère productive. Cela passe par la constitution d’une banque publique d’investissement. Cela passe par une stratégie industrielle concertée à l’échelle de l’Europe. Cela passe par une revalorisation des salaires en Europe à fin de soutenir la demande intérieure. Cela passe par une remise en cause drastique du libre-échange de manière à pouvoir réengager un mouvement massif de relocalisation des industries. Cela passe enfin par une réappropriation démocratique de l’Europe par les peuples et leurs représentants légitimes au parlement européens. Tout à l’opposé de ce que s’apprêtent à proposer aux peuples européens Don Merkel et Sancho Sarkozy. C’est désormais la responsabilité qui incombe à François Hollande de proposer cette nouvelle voie pour l’Europe, en lien avec nos camarades allemands du SPD et en lien avec nos camarades socialistes européens. Faute de quoi, la crise s’aggravera et s’aggravera à un point tel que, dans un terme qui peut-être plus rapide que prévu, c’est l’ensemble de l’édifice démocratique européen qui menacera d’être ébranlé.