Quel barnum !

Publié le par cherki

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Je suis un amateur de football depuis mon plus jeune âge. Depuis 1974 exactement et une coupe du monde se déroulant en Allemagne où j’ai appris à aimer le football grâce à l’équipe des Pays-Bas et sa génération dorée, avec ses Cruyff, Neeskens, Rep, Resenbrink, Krol, issue en grande partie de l’Ajax d’Amsterdam et de son football total. Une génération dorée battue injustement en finale par l’Allemagne et la génération non moins dorée des Beckenbauer, Muller, Maier, Netzer, Bonhoff, Breitner, Vogts. J’avais 8 ans et depuis cette passion ne m’a jamais quitté. Elle n’a cessé de croître et c’est avec un très grand plaisir que, tous les quatre ans, j’essaie de regarder le plus de matchs possibles de la Coupe du monde. J’aime le foot mais je n’aime pas les à côtés du foot. Je n’aime pas cette passion nationaliste, ce chauvinisme débridé qui entoure les compétitions sportives. Je fais partie de cette espèce rare : je ne suis pas un supporter automatique de mon équipe nationale. Cela dépend du style de jeu qu’elle développe. J’ai été un supporter inconditionnel de la France entre 1978 et 1986, pendant l’époque de la bande à Platini. J’aimais ce football créatif, offensif, généreux. Même si j’ai regretté que, faute d’expérience internationale suffisante, il nous ait manqué cette lucidité pour tenir un résultat. Notamment en 1982 lors de la demi-finale contre l’Allemagne où, alors que nous menions 3-1 dans les prolongations, nous nous sommes faits remonter par des allemands moins bons que nous mais plus coriaces et qui n’avaient pas hésité à employer tous les moyens, même le plus déplorable comme l’agression de Schumacher sur Battiston, pour nous battre. Cette demi-finale aura toujours pour moi un goût d’inachevé. Comme la défaite de la Hongrie en finale de la Coupe du monde de 1954, comme la défaite des Pays-Bas en finale de la Coupe du monde de 1974, comme la défaite de Saint-Etienne en finale de la Coupe d’Europe en 1976, comme la défaite stupide de la France en finale de la Coupe du monde de 2006 en Allemagne. Mais cela fait partie du sport, ce ne sont pas toujours les supposés meilleurs qui gagnent, ce sont parfois les plus compacts et les plus expérimentés comme l’Italie de 1982, bien inférieure au Brésil qu’elle battit pourtant dans un match héroïque au second tour des poules, ou comme la France en 1998. Depuis 1982, je suis un fan inconditionnel de l’Argentine, depuis que Maradona y a joué. Je reconnais qu’il n’y a aucune rationalité dans ce choix qui n’est motivé que par l’admiration que je porte à celui que je considère comme le plus grand footballeur de tout les temps. C’est pourquoi, que la France gagne ou perde m’est indifférent. Quand la France gagne en jouant intelligemment comme en 1998 et en 2000, développant un football maîtrisé et équilibré d’une équipe organisée autour de son maître à jouer Zidane et parfaitement secondé par des joueurs intelligents comme Deschamps, Blanc, Thuram ou Petit, alors là oui je suis doublement content, comme amateur de foot et comme français. Mais qu’elle perde en jouant mal alors, peu m’importe. Ma passion du foot est plus forte que l’amour que je porte à mon pays. En ce domaine aussi, je suis un internationaliste assumé.

C’est pourquoi le fiasco de l’équipe de France pendant cette coupe du monde ne m’a ni surpris, ni déçu. C’est le contraire qui m’aurait étonné. Depuis 2006 et la finale perdue contre l’Italie, l’équipe de France est comme une âme en peine. Le premier et le principal responsable est à mes yeux le sélectionneur Raymond Domenech. Non pas en raison de ses frasques ou de ses relations tumultueuses avec les médias, ça c’est sans intérêt, mais en raison de son incapacité à développer un projet cohérent de jeu. Une équipe de football c’est un style de jeu, une âme collective. Elle dépend de l’époque, des joueurs que l’on a disposition à un moment donné. La France a eu plusieurs styles de jeu par le passé. Du temps de Platini, l’équipe de France s’appuyait sur un milieu à quatre joueurs avec deux récupérateurs (Fernandez et Tigana et deux milieux offensifs créateurs Platini et Giresse). C’était un jeu fait de mouvement, porté vers l’attaque. En contrepartie notre défense était plus exposée. Quoi qu’il en soit c’était un système de jeu cohérent d’une équipe organisée autour d’un joueur d’exception, Platini, entourés de cadres de grand talent. Sous l’ère Jacquet entre 1994 et 1998, puis jusqu’en 2000, puis brièvement pendant la coupe du monde 2006 où l’équipe était autogérée par ses cadres, la France avait développé un autre système de jeu fondé sur une défense de fer, un pressing important au milieu et une capacité à développer des attaques foudroyantes grâce à la patte de Zidane. Ce système de jeu nécessitait une condition physique de premier ordre et une grande discipline collective grâce à des joueurs matures comme Blanc, Deschamps, Desailly, Lizarazu, Thuram, Petit, Viera, Makelele etc. Depuis 2006, on cherche le projet de jeu et c’est là le drame, Domenech n’a jamais choisi. On avait une équipe sans projet stratégique donnant un sentiment d’inconstance et développant une politique du chien crevé au fil de l’eau. C’est ça qui est au fond très triste avec l’équipe de France, c’est de l’avoir vu développer un football sans saveur, d’avoir le sentiment qu’elle ne trouverait jamais les ressources et le ressort nécessaire pour se transcender dans une compétition aussi intense qu’une Coupe du Monde. Tout le reste n’est qu’enchaînement de non sens à répétition. La sélection des 23 comportait des joueurs qui ne sont pas des titulaires indiscutables dans leur clubs ou qui avaient peu ou mal joué au cours de l’année tels Gignac ou Govou. Alors que nous avions un problème de percussion offensive on se privait d’un joueur tel que Benzema. Alors que nous avions un besoin d’animation offensive au milieu on se privait d’un joueur comme Nasri. Pendant la compétition on faisait jouer des joueurs à un poste qui n’était pas le leur en club et qu’ils n’affectionnent pas du tout comme Abidal en défense centrale alors qu’il a évolué dans le couloir à Barcelone ou Anelka en avant centre alors que son poste de prédilection est derrière une pointe. Mais, le plus pathétique fût sans aucun doute la décision prise par Raymond Domenech de changer radicalement son système de jeu pou adopter un 4-3-3 à l’occasion du matche contre le Costa Rica, pour décider d’en changer et de revenir au 4-3-2-1 pour le premier matche contre l’Uruguay. Dans ces conditions l’équipe de France fût incapable de se préparer correctement et de se forger une discipline collective qui est la condition indispensable pour pouvoir espérer réussir quelque chose dans une Coupe du Monde.

Le reste on le connaît. Une déconfiture totale accompagnée d’une implosion de l’équipe et de son encadrement puis le début du barnum et quel barnum ! Certes il y a eu la grève des joueurs qui, au fond, était plus ridicule qu’autre chose et témoignait d’un désespoir et d’une fuite en avant d’un groupe devenu un canard sans tête. Mais surtout il y a eu cet incroyable cirque médiatique dont le tempo fût donné par le journal l’Equipe. L’Equipe qui était déjà dans le coup d’après celui d’une presse réclamant des têtes, à commencer par celle du Président de la Fédération Française de Football. Avec en sous main le lobby intense des joueurs de l’équipe de France de 1998 et en arrière plan les dirigeants du football professionnel qui aimeraient bien prendre la main sur la fédération. Il faut dire que l’équipe de France est une bonne gagneuse, une cash machine qui doit en attirer plus d’un qui ont soit disant aujourd’hui une main visible sur le cœur mais surtout une main occulte sur leur portefeuille. Dés lors on a changé de registre et de la gestion sportive d’une compétition sportive ratée on est passé à Loft Story 2 avec une surabondance d’un traitement médiatique indigeste où rien ou presque ne nous a été épargné. On eu le droit aux reportages en direct d’un aéroport vide avec un journaliste au commentaire vide nous annonçant attendre l’arrivée des joueurs et nous indiquant, comme si il s’agissait de l’information du siècle que, peut-être, un avion spécial serait affrété pour les joueurs jouant en Angleterre. Quelle différence entre le comportement des médias français et le traitement de l’information par CNN ? Aucune ! Toujours la suraccumulation d’une parole vide, creuse et sans intérêt. Et que dire enfin du comportement de la ministre des sports houant tour à tour le rôle de la mère poule s’invitant de manière indécente à l’hôtel des bleus et tenant une réunion avec les joueurs pour endosser dès la fin du matche contre l’Afrique du Sud le rôle de procureur en chef dressant jusque, dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, d’implacables réquisitoires contre l’équipe de France et la Fédération. « Désastre », « caïds immatures », « déontologie foulée aux pieds » autant de termes fleurant bon l’instrumentalisation politicienne. Sans compter le rendez-vous accordé par Nicolas Sarkozy à Thierry Henry à la demande de ce dernier comme si le Président de la République n’avait rien d ‘autre à faire en ce moment. Et ces mêmes qui, au pouvoir, mènent une politique en faveur des privilégiés viennent maintenant s’offusquer des salaires mirobolants des joueurs de football. Comme si au fond il était légitime d’être riche quand on est blanc et bien élevé, dans écoles privées si possibles, mais que cette richesse serait suspecte quand elle serait l’apanage de noirs et d’arabes ayant grandi en banlieue et ne s’exprimant pas dans un français compréhensible par les spectateurs de la Comédie Française. Pourtant cette réussite facile est une des caractéristiques de l’idéologie libérale du self made men où, faute de s’attaquer au chômage de masse, aux discriminations dont sont victimes les habitants de nos cités, on leur livre l’os à ronger de la réussite rapide d’une infime minorité d’entre eux.

Finalement je trouve que cette élimination de l’équipe de France a du bon. En premier lieu, elle est logique sportivement parlant. En second lieu, à partir de maintenant, en France, les amateurs de football et simplement de football vont enfin pouvoir s’intéresser tranquillement à la Coupe du Monde loin de l’hystérie qui prévalait jusqu’alors.

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