Crash ou clash ?

Publié le par cherki

L’économie américaine est-elle à la veille d’une crise majeure d’une ampleur comparable à celle qu’elle a connue en 1929 ? La question est moins iconoclaste qu’il y paraît à première vue. Tout d’abord il n’est pas interdit de se souvenir que le crash de 1929 avait été précédé d’une période d’euphorie spéculative boursière sur les nouvelles technologies de l’époque qu’étaient l’automobile, les nouveaux médias de communications comme la radio ou le cinéma. Bien sûr les leçons de la crise de 1929 ont été partiellement retenues. Notamment la faute commise par le gouvernement américain qui avait plongé le pays dans la récession par une politique monétaire restrictive qui avait asséché l’offre de crédit et amplifié la crise bancaire. C’est pourquoi quand en 1998 le fond LTCM avait été acculé à la faillite après avoir perdu 5 milliards de dollars dans une spéculation hasardeuse menaçant la stabilité de Wall Street, le gouvernement américain était intervenu pour convaincre les 15 principales banques américaines de le recapitaliser. C’est pourquoi surtout, lors de l’éclatement de la bulle internet en 2000, les autorités monétaires avaient inondé l’économie américaine des liquidités nécessaires au prix il est vrai d’un creusement sans précédent de leur déficit budgétaire. Néanmoins la FED en avait tiré comme conclusion que le mieux à faire lors de la formation d’une bulle était de ne rien faire et de la laisser éclater et après que le mieux encore était de laisser voir venir. Ce fut l’objet d’un discours retentissant d’Allan Greenspan en 2002 quand il exerçait les responsabilités de Prédisent de la Réserve fédérale américaine. Aussi la plupart des analystes financiers et des apôtres de la financiarisation de l’économie étaient ressortis rassurés de la gestion de l’éclatement de la bulle internet. Depuis lors la spéculation est repartie de plus belle. Pourtant de trop rares voix se sont élevés pour s’inquiéter de la formation d’une bulle plus puissante et beaucoup plus dangereuse, la bulle immobilière. Et certains de prédire que son éclatement serait beaucoup plus difficile à régler que la bulle internet. En effet la bulle internet avait éclaté sur un marché segmenté, celui des nouvelles technologies et dont la croissance industrielle n’en est qu’à ses débuts. Selon une analyse empruntée à la fois à Kondratieff et Schumpeter, nous ne serions qu’au commencement d’une nouvelle révolution industrielle dont le pic devrait se situer aux alentours années 2040-2050. L’éclatement de la bulle serait donc intervenue au début d’un processus de diffusion de ces nouvelles technologies dans la sphère de la production et donc n’aurait finalement fait que corriger un mécanisme spéculatif issu d’une anticipation trop exagérée des potentialités de croissance des entreprises de ce secteur. Un simple mécanisme correctif en quelque sorte, qui plus est de nature à favoriser une concentration des acteurs dans le secteur. Depuis lors le marché aurait acquis une certaine maturité et serait mieux en mesure d’apprécier à leur juste valeur les potentialités de ce secteur. Rien n’est moins sûr quand on voit les mécanismes boursiers à l’œuvre dans les entreprises de NTIC et la course haussière que leurs titres ont recommencé à effectuer quelques années après l’éclatement de la bulle. La bulle immobilière est d’une toute autre nature et son éclatement risquerait d’affecter l’ensemble du système financier américain, puis se diffuser au reste des places boursières mondiales et affecterait très fortement l’équilibre instable de l’économie américaine. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’immobilier joue un rôle essentiel dans l’économie américaine connu sous le vocable d’effet de richesse. La croissance durable de l’économie américaine repose principalement sur la consommation des ménages. Or, aux Etats-Unis, les ménages sont très fortement endettés, le taux d’épargne aux Etats-Unis étant négatif. Cela veut dire que les ménages comme le pays vit à crédit du reste du monde qui fait semblant d’y trouver son compte, les Etats-Unis représentant encore le principal débouché commercial de leurs exportations. Pour que la consommation des ménages ne diminue pas, il faut donc qu’ils aient un accès constant à un crédit et un crédit bon marché de surcroît. Or, les prêts que sollicitent des ménages américains endettés doivent être garantis. Or, la garantie la plus recherchée est celle de l’immobilier, du gage hypothécaire sur l’emprunt. Or, l’immobilier ne cessant de monter les ménages, par anticipation d’une hausse régulière de leurs biens immobiliers, n’hésitent pas à s’endetter auprès de banques disposées à leur prêter. C’est ce qu’on nomme l’effet de richesse. Or, que se passe-t-il actuellement ? La bulle spéculative immobilière américaine qui a démesurément grossie est menacée d’éclatement. Récemment deux fonds dépendants de la banque d’investissement Bear Stearns ont cessé leur activité en affichant des pertes cumulées d’un montant d’un milliard de dollars. La fébrilité et le doute commence à gagner les marchés financiers puisque l’agence de notation Standard and Poor’s vient d’annoncer qu’elle envisageait de baisser la notation de 612 obligations émises par des banques et adossées à des prêts immobiliers souscrits par les ménages plus endettés, les fameux « subprime ». Il n’en faut pas plus pour que l’inquiétude commence à gagner les marchés financiers d’autant que les chiffes commencent à circuler. Ainsi Mathilde Lemoine, Directrice des études économiques à HSBC France, évaluait ce jour dans les Echos les subprime à 14% du marché américain des emprunts hypothécaires d’un montant total de 10 000 milliards de dollars. Et d’ajouter qu’à ce jour au moins 20% de ces subprime risquaient d’être mis en défaut d’ici à la fin de l’année soit un montant astronomique de 300 milliards de dollars qui représente 60 fois le mentant des pertes du fonds LTCM. Du coup un risque de contagion de la crise existe parce que les ménages aux revenus les plus bas risquent de se voir d’un coup refuser l’accès au crédit et assécher les liquidités de l’ensemble du système financier américain si d’autres fonds connaissaient d’autres mésaventures du type de ceux de Bear Stearns. Cela obligerait le gouvernement américain et la FED à intervenir vigoureusement en baissant substantiellement ses taux d’intérêts. Y sont-ils disposés rien n’est moins sûr d’autant que le dollar ne cesse déjà de chuter. Sommes-nous à l’aube d’un crash boursier majeur comme celui-ci survenu en 1929 ? Je ne suis pas en mesure de l’affirmer mais ce qui est acquis c’est qu’une économie fonctionnant sous la répétition de la formation et de l’éclatement de bulles boursières finit par connaître un méga crash. Il est temps de reposer sérieusement la question de la lutte contre la financiarisation de l’économie et du comportement rentier qu’elle génère. Il est temps de relire Marx et son chapitre du livre III du Capital sur le Capital fictif. Il est temps de relire Keynes et d’en tirer à nouveau les conclusions qui s’imposent. Toutes mes excuses aux libéraux et sociaux libéraux de tout poil, ce sont eux qui ont actuellement un sérieux et dangereux train de retard.

 

 

 

 

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C
bonjourmerci pour ce récapitulatif que je connais parfaitement, on doit avoir les mêmes lectures.J'ai envie de vous répondre : oui et alors ?Ce sont des cycles, la fin de la formidables bulles immobilère et boursière actuelle va arriver à son apogée et éclater comme à chaque fois.Il me semble que c'est malheureusement le choix forcé ou pas que le mond eentier partage actuellement. avec tous les travers notament en Chine qui est sans doute le lieu du capitalisme le plus débridé. Les peuples en souffrent.Et j'ai encore envie envie d'y ajouter : oui ..nous nous gavons en Europe et aux US de produits fabriqués par des semis esclaves aux 4 coins du monde : oui et...Bref, je dénonce tout comme vous ect état de fait mais je ne vois aucune porte de sortie actuellement.Christophe
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C
Mais si il y a des portes de sorties. On en reparlera bientôt.
E
Bonjour Pascal,<br /> ton article est aussi intéressant que pointu, bravo pour ton analyse du marché monétaire américain. Par contre je ne comprends pas ce qui te fait conclure à la fin : "Je ne suis pas en mesure de l’affirmer mais ce qui est acquis c’est qu’une économie fonctionnant sous la répétition de la formation et de l’éclatement de bulles boursières finit par connaître un méga crash".<br /> Emilio, de Paris 18.<br /> PS : Par ailleurs quel est le chapitre du livre III du Capital auquel tu fais référence? Je suis très curieux d'en faire la lecture. Merci.
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C
Je ne suis pas mesure d'affirmer en effet que la crise de la bulle immobilère va automatiquement déboucher sur une crise généralisée des marchés financiers US et de l'économie US. par contre je maintiens mon analyse sur les risques systémiques que fait courrir une économie de "bulles".